Solex fait son grand retour dans les vélos électriques

Dans son usine implantée à Saint-Lô (Normandie), Grégory Trébaol, directeur général d’EasyBike, nous détaille chacune des étapes nécessaires à l’assemblage d’un vélo. Ici, on monte les rayons, installe des guidons, câble les freins, serre, visse… Dans ce bâtiment de 4.000 m2, où 75 personnes travaillent chaque jour, “on est loin de l’automatisation de l’industrie automobile”, nous explique le fondateur du groupe qui se consacre à la mobilité électrique depuis 15 ans. “Une chaîne mécanisée fait des milliers de voitures et sur plusieurs années, nous nous changeons tous les jours de vélos !”.
Peu de machines donc, mais des opérateurs polyvalents capables d’assurer chaque poste pour assurer l’objectif de production de 400 vélos électriques par jour pour alimenter les trois canaux de distribution du groupe : le retail avec ses marques propres (Solex, EasyBike, Matra, Moov’in), la grande distribution spécialisée (Norauto, Decathlon, Go Sport) et les collectivités, l’un des futurs axes de développement du groupe.
Pénurie de pièces
Pourtant, en cette fin octobre, une seule des deux lignes de production est en marche : “Si l’on était dans une phase d’approvisionnement régulier, les deux lignes travailleraient en simultané, l’une pour nos marques propres, l’autre pour l’un de nos clients et il y aurait 20 opérateurs en plus”, précise l’entrepreneur. Lui, comme
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Chaque arrivage est une surprise. Les commandes arrivent quotidiennement, mais sans aucune visibilité. Certains composants encore très faciles d’accès il y a un an peuvent mettre 15 mois à arriver aujourd’hui. Difficile donc pour l’entreprise de s’organiser lorsque l’on sait qu’un vélo à assistance électrique est généralement composé de près d’une centaine de pièces.
Gros coup de frein
Un scénario d’autant plus frustrant pour le groupe qui sort tout juste d’une procédure de redressement judiciaire. En 2013, lorsqu’il rachète Solex pour 10 millions d’euros, Grégory Trébaol veut rapatrier la production du mythique vélo de la Chine vers la France. Il investit dans une usine en Normandie avec le soutien de la communauté d’agglomération de Saint-Lô à la condition d’embaucher local. Dans la foulée, c’est sur Matra, un autre fleuron français spécialisé, lui, dans la pratique sportive, dont Lagardère voulait se séparer, que l’entrepreneur jette son dévolu. “ A cette époque, tout le monde parle de nous. C’est un succès mais c’est finalement assez éphémère. Pour financer ces acquisitions et l’usine, on lève des fonds mais on manque de BFR [besoin en fonds de roulement, NDLR] alors qu’il en aurait fallu énormément pour absorber ces coûts d’investissement mais aussi pour financer l’approvisionnement de pièces.” Résultat, en manque de pièces, l’usine peine à produire et ne fait pas suffisamment de chiffre d’affaires.
En 2019, l’entreprise est placée en redressement judiciaire par le tribunal de Coutances (Manche) pour cessation de paiements. Une procédure qui durera deux ans. EasyBike se réorganise pour augmenter sa capacité de production et augmente de 7 millions d’euros son capital grâce à un fonds familial suisse. A l’été 2021, alors que les banques françaises refusent de l’aider à se financer, Gregory Trébaol trouvera des fonds de l’autre côté de l’Atlantique auprès du fonds américain Remington qui lui permet de lever 50 millions d’euros.
“Architecte de la mobilité”
Débarrassé de ses dettes, EasyBike veut désormais faire renouer Solex avec le succès. Pour les 75 ans de la marque, son nouveau modèle baptisé “Intemporel”, reprend les codes exactes du modèle 1946; Même fourche, même design… La copie est quasiment conforme. Mais cette réplique géométrique n’empêche pas les innovations. L’emplacement à l’avant du guidon, anciennement dédié au moteur a été transformé en panier, mais l’idée pour les designers est d’y ajouter un “compagnon”: un module que le cycliste pourra emporter avec lui qui servira à la fois de batterie complémentaire, de phares mais aussi d’enceinte. Pour ne pas trahir l’ancien slogan “un Solex=un SMIC”, deux versions du vélo, l’une à 1.521 euros, avec un moteur Bafang installé sur la roue arrière, et l’autre à 2.599 euros, avec un moteur Bosch au niveau du pédalier seront commercialisées d’ici la fin de l’année. Dix mille exemplaires sont déjà en commande dans l’usine normande.
Pour ceux qui privilégient la technologie à la nostalgie, EasyBike travaille d’ores et déjà sur une deuxième gamme de VAE intitulée “Solex Origine”. “Une gamme disruptive qui ne renoue pas avec le design des anciens Solex mais davantage à sa tradition dans l’innovation”. La cible, les 25-35 ans davantage intéressés par l’usage que par la propriété. “Nous allons travailler sur ces nouveaux modes de consommation, la location longue ou courte durée avec un produit dans un cadre composite 100% recyclable”. Des matières innovantes mais aussi des services. Car si l’explosion du marché du vélo à assistance électrique n’est plus à prouver (trois milliards d’euros aujourd’hui en France), l’objectif de l’entrepreneur est désormais de “lever tous les derniers freins à l’achat” : en travaillant sur des offres de leasing, traçage ou encore d’’assurance.
L’objectif audacieux est annoncé : devenir un “architecte de la mobilité électrique”, en proposant des services aux clients mais aussi en recréant une filière des composants en France. “Notre histoire nous a beaucoup fait réfléchir sur notre dépendance à l’Asie. Quand j’ai ouvert l’usine en France, tout le monde me disait que le coup d’assemblage était trop cher. Depuis la loi anti-dumping en 2019, on estime que cela nous coûte 100 euros de plus qu’en Asie. Toute la chaîne a intégré cette valeur, ce n’est pas que le client qui paie la différence. Sur les composants c’est pareil, en s’appuyant sur le tissu industriel en France et en Europe qui est déjà bien développé, on pourrait avoir des approvisionnements plus réguliers, rapides, de meilleure qualité et sans les aléas du transport.” Plus cher, peut être ? “Avec les prix du fret qui s’envolent, ce n’est même pas sûr. En deux ans et demi, le prix du conteneur est passé de 1.500 à 11.000 euros… Et puis, sincèrement la liberté, ça n’a pas de prix”, termine l’entrepreneur.
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